Abstract:
Les récits de voyages consacrent souvent un ou plusieurs chapitres à l’expérience de la nourriture de l’autre: expérience participative, qui donne ensuite le droit au voyageur de dire le vrai sur ce qu’il a vécu, puisque c’est d’une chair nourrie de la nourriture de l’autre qu’émane la voix qui parle de l’autre.... Pour corroborer ses dires, le voyageur peut aussi amener dans son pays d’origine les aliments qui lui ont paru les plus remarquables: il les fera alors goûter à ses compatriotes, en vantant leurs vertus. Toutefois, si ces aliments s’acclimatent dans son pays, une révision du discours peut alors intervenir, transformant les vertus en autant de dangers...L’article se propose d’étudier le discours de la vérité et du mensonge autour de l’introduction du café et du chocolat en France aux 17e et 18e siècles: récits de voyage (aux Indes Occidentales, pour le chocolat, et dans l’empire Ottoman et en Arabie pour le café), traités dénonçant les dangers de l’abus du café et du chocolat, livres de cuisine préconisant (ou non) l’usage de ces denrées, enfin discours littéraire... autant de textes qui mettent en lumière la délimitation d'un espace fictionnel des boissons chaudes exotiques.
Machine summary:
Dans cette immense masse de textes, nous nous sommes intéressée au seul espace français, à l’intérieur de la période d’acclimatation puis de popularisation des deux breuvages les plus en faveur auprès du public français de l’époque: soit le discours sur le café et le chocolat aux 17e et 18e siècle : comment ces deux boissons, noires comme le péché, amères et peu ragoûtantes en viennent à déterminer un espace de virilité pour l’une (le café) et de séduction pour l’autre (le chocolat).
A cet effet, nous nous demanderons quels sont les éléments dans le discours des récits de voyage sur le café et le chocolat qui ont été considérés comme vrais, ceux qui ont été reconnus comme faux et/ou mensongers, et enfin ceux qui ont été détournés pour aboutir à une image qui ne bougera quasiment plus jusqu’à nos jours.
Gonzalo Oviedo, l’auteur, y remarque avec étonnement la très grande valeur que les Indiens accordent au cacao (xocoatl), dont les fèves servent de monnaie, et avec lesquelles ils préparent une boisson réservée aux plus hauts dignitaires: «On dirait qu’ils boivent des ordures, cela semble dégoûtant à celui qui n’e a pas bu...
2 Teinture rouge issue de l’arbre du même nom, poussant en Amérique du Sud. qui vécut longtemps au Pérou et écrit un peu plus tard un récit de voyage qui aura un très grand succès en Espagne, mais aussi dans toute l’Europe,1 parle lui aussi du dégoût que suscite l’écume sombre qui couvre cette boisson dont les Indiens et les Espagnols locaux font cas «follement et sans raison» (Acosta, 1598, 171).